Le Bitard – journal de la Grand Goule

Outre un animal légendaire, représenté comme un dragon ailé et associé à l’histoire de Sainte-Radegonde à Poitiers, la Grand Goule était également un périodique pictave, qui a eu pour directeur de publication R. Jozereau.  

Dans les années 1930, celui-ci nous livre, certaines fois sous forme romancée, des anecdotes concernant la vie estudiantine pictave, et plus particulièrement celles se rapprochant du Bitard.

 

Grand Goule – mars – mai 1936 – numéro 40

Ordre du bitard

Ce texte décrit sommairement la Semaine Estudiantine de 1936. On notera que l’Association des Etudiants (ou l’A. plus loin dans le texte) dont il est fait mention est une référence à l’AGEP, Association Générale des Etudiants de Poitiers. Le “béret” dont il est question dans le texte étant la faluche, comme on peut le comprendre avec le “béret à bande bleue” des étudiants des Beaux-Arts.

 

 

Grand Goule – mars 1930 – numéro 8

 

ordre du bitard faluche

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Traduction du premier texte (merci à Schnappy, étudiante en droit à Poitiers, pour la traduction):

Depuis que cette édition mensuelle est parue, nous avons appris beaucoup de choses sur Poitiers et ses environs. Nous avons découvert des édifices et des monuments des siècles passés, à quoi ressemble la ville, et nous nous sommes laissés pénétrer par les histoires du Poitou depuis maintenant longtemps. 

Je m’étonne cependant que personnes ne nous ait rien raconté à propos d’une curiosité locale, qui pourrait cependant inciter chercheurs et étudiants étrangers à faire un séjour dans notre ville. Cette curieuse créature (c’est en effet un animal) a de quoi susciter l’intérêt du plus grand nombre au sein de la communauté savante, puisqu’elle a été observée jusqu’à maintenant uniquement dans les environs de Poitiers. Couramment désignée par un nom latin hautement scientifique, Bitardus paradoxus, la découverte de son genre n’est pas encore aboutie. 

Le Bitard vit dans les bois entre Saint-Benoît et Naintré, deux villages séparés l’un de l’autre par le Clain. C’est ici que l’animal se ressource, étendu sur un talus ensoleillé afin de profiter des rayons réchauffant du soleil de printemps. 

Quand on trouve la trace de cet animal rare, éclate chez les étudiants une grande excitation : c’est qu’ils considèrent la chasse de cet animal comme une faible contrepartie pour de nombreux désagréments. Les autorités ont un autre avis, et soutiennent que cette drôlerie n’est autre qu’un délit de chasse. C’est pourquoi de nombreux gardes forestiers sont postés afin d’empêcher le tapage. 

Le chapeau estudiantin sur la tête, lequel est décoré au bord par un ruban jaune, rouge, rose, vert ou violet pour représenter la faculté, un bâton en main et un sac dans le dos, voilà à quoi ressemblent les étudiants aux alentours de Saint-Benoît. Chacun croit que son devoir est d’exciter les paisibles habitants de Poitiers à grands renforts de cris et de chants. 

Arrivés dans la forêt, ils se dispersent, chacun se cache et attend que l’animal, attiré par un morceau de viande, entre dans le sac ouvert (faisant office de piège). Il est ensuite très simple de tuer la bête avec un bon coup de bâton. Il faut simplement prendre garde à ne pas tomber entre les mains des gardes forestiers. Mais les zélés chasseurs, Musensöhne en devenir (Ndt: Musensöhne = les fils de la muse/égérie), ne se laissent pas effrayer. Sans bruit, ils se faufilent dans la forêt, et bientôt, on entend plus que la rumeur des arbres. 

Soudain, un bruit puissant : on entend clairement et distinctement deux se disputant, l’une appartenant en effet à un garde forestier, l’autre étant celle d’un étudiant. Un sermon assez salé et un allègement de porte-monnaie marquent la fin  de l’altercation, celui qui a été pris sur le fait n’a cependant pas à s’inquiéter de cette raillerie. A part cela, tout reste calme. 

Doucement et prudemment, tel un indien, un porteur de chapeau sort en rampant de sa cachette, portant dans son sac de casse le Bitard prisonnier. Là ! Un toussotement ! Immédiatement, le chasseur se cache derrière un buisson protecteur et peut sans danger dissimuler à la vue du garde forestier la bête inconsciente. Ce dernier dit tout fort que « Si ce mec essaie seulement de s’échapper … », ce qui fait se dire au Musensohn qu’il est bien caché et va être sauvé. 

Son vœu est exaucé, l’œil de la justice s’éloigne et l’heureux chasseur rejoint ses camarades déjà rassemblés qui le salut et l’accueillent. Comme il a été demandé, toute la petite bande frappe en rythme dans ses mains afin de fêter le chasseur victorieux. 

Vers le soir, les héros reviennent en « monôme » au parc de Blossac, ce qui signifient qu’ils sont l’un derrière l’autre, formant un très grand rang, ils se recueillent alors de manière festive en chantant « Chahut … Chahut … Chahutez … ».Il faut faire trois fois le tour de la fontaine du parc en marchant avant de rejoindre le restaurant sous les yeux étonnés des poitevins, pour la Fête du jour. 

Le Bitard mort est exposé publiquement dans le parc. Les yeux fulgurants de la tête de martre brillent encore, les dents acérées et pointues semblent encore menaçantes, et les pattes de blaireau pendent vers le bas, sans vie. Au soleil se reflètent, telles des pellicules luisantes, des écailles de poisson, qui coulent de la queue déployée d’un dindon. 

Malgré la beauté de la victime, les étudiants s’occupent bien moins de cela que de fêter avec joie leur victoire. Encore tard dans la nuit, les étudiants errent dans les rues, au grand effroi des habitants, sortis de leur calme sommeil à grands coups de sonnette, et de visages effrayants  coiffés d’un chapeau noir et affichés aux fenêtres.

Traduction du second texte (traduction par Bilbo, sciences Poitiers)

Avant la guerre [Ndt: la première Guerre Mondiale], la Chasse au Bitard était une chose traditionnelle chez les étudiants de Poitiers. C’était une farce jouée par les anciens à un nouvel arrivant.

La Chasse consistait à capturer dans les bois de Saint-Benoît un animal étrange et carnassier: le Bitard. De lui, on faisait une vague description au jovial étudiant. La bête ressemblait tout à la fois à la fouine, au saumon, au dindon et au renard. Par conséquent, cette Chasse était fort divertissante pour les chasseurs, qui pouvaient se moquer de l’étudiant choisi.

L’heure venue, toujours de nuit, les étudiants joyeux et bruyants se mettaient en chemin pour les bois de Saint-Benoît, armés d’une lumière pour attirer le Bitard et d’un sac pour l’attraper (le jeune qui avait été choisi portait alors l’un et l’autre). A l’orée du bois, on ne parlait plus qu’à voix basse: et après une marche difficile dans les buissons obscurs, deux chasseurs se dirigeaient silencieusement jusqu’à l’antre du Bitard, qu’ils se proposaient d’éveiller.

Le nouvel arrivant s’agenouille alors, allume la bougie pour attirer le Bitard. Mais, tout à coup, la flamme s’éteint, le sac lui atterrit sur la tête, pendant que les autres chasseurs fuient. A force de s’agiter, il recouvre la liberté. Humilié, le jeune bitardier cherche et recherche son chemin, qui est fort difficile à trouver… D’un coup, il s’affole. Des branches le frôlent sur le côté. Serait-ce le Bitard ? Non, rien de plus que le garde champêtre. “Vous chassez durant la nuit, vous avez un sac et une bougie, ce qui est interdit! Je vais de suite vous inculper. Donnez-moi votre nom”. L’étudiant veut tromper le garde, en lui donnant un faux nom, mais celui-ci lui répond: “vous me mentez, je vous connais et sais que vous étudiez le droit en la noble cité de Poitiers. Vous paierez l’amende due”.

Alors, le pauvre étudiant pense avec une amertume certaine aux difficultés qu’il aura pour retrouver son chemin, aux moqueries de ses camarades, à l’argent perdu en jouant aux cartes, et enfin à cette amende qu’il va devoir payer… Après beaucoup de marche aux travers des bois et des moments de colère, l’étudiant en disgrâce arrive à Poitiers et ouvre la porte de  sa chambre, où l’accueillent les rires de sses compagnons qui l’ont précédé, ainsi que le garde champêtre qui connaît si bien le nom des étudiants de Poitiers. Enfin, ils burent, fumèrent et chantèrent jusqu’au lever du soleil.

De nos jours, la Chasse au Bitard n’est plus une farce, mais une distraction, qui attire tous les ans de nombreuses personnes à Saint-Benoît ! 

 

Grand Goule – Décembre 1935 – février 1936.

La Chasse au Bitard par R. Jozereau

 

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On remarquera à la fin de cet article sur la Chasse au Bitard, une brève faisant mention de Scapin. Cette revue créée en 1933 (source sur la Bibliothèque Nationale de France) était éditée par les étudiants de Poitiers et faisait mention d’événements folkloriques, associatifs … On trouvera un exemple d’article relatant la Semaine Estudiantine >> ici <<.

 

Grand Goule – Noël 1937 – numéro 45

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