Partition ‘”L’Etudiant Passe”

 
 
 
   

 “L’étudiant passe”

Lo studente passa” fût écrit en 1929 par Enrico Maria Chiappo, sur une musique de Julio Cesar Ibanez. Elle fût notamment traduite en français sous le nom de “L’Etudiant Passe”, et en allemand comme “Der Student Geht Vorbei“. Une version de février 1932, interprétée par Darcelys, est disponible en ligne.

La chanson relate une histoire d’amour entre un jeune homme venu de province à Turin pour ses études de Médecine, et une demoiselle ouvrière. Leur amourette finira brutalement lorsque l’étudiant obtiendra son diplôme: devenant bourgeois, il serait indigne de sa condition que d’entretenir une relation de ce type ou de se marier avec une simple ouvrière.

L’histoire est basée sur une comédie datant de 1911 et intitulée “Addio Giovinezza!” (“Adieu Jeunesse!”). Cette comédie en 3 actes, écrite par Sandro Camasio et Nino Oxilia, eut beaucoup de succès, et a été mise en scène, pendant les années suivantes,  dans quatre films (trois muets).  Le film de 1940, le plus réussi et le plus chanceux, est disponible en libre-accès en ligne. En 1915, le musicien Giuseppe Pietri également a tiré de cette comédie une opérette.

En 1935, l’intrigue de “Addio Giovinezza ! ” a donné lieu à une nouvelle chanson intitulée “Piemontesina“, dont les paroles [1] suivent la même trame que “Lo Studente Passa” (à la différence que le nom de la jeune fille de la chanson est cette fois Rosina).

 

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Le thème de « l’amour impossible » est récurrent dans les œuvres de fiction. Ainsi, une comédie allemande intitulée “Le prince étudiant” retrace l’histoire d’un prince venant faire ses études dans la ville de Heidelberg, et qui tombe amoureux d’une serveuse de brasserie. L’issue de leur histoire sera la même, une fois son diplôme obtenu « l’étudiant passe » et rompt avec cette fille, simple ouvrière qu’il ne peut décemment par marier.

Les illustrations des partitions représentent, en version française comme italienne, une étudiante, reconnaissable à sa coiffe (feluca pour l’Italie, faluche pour la France). Il est par contre étonnant que ce soit une étudiante qui soit représentée, car les paroles de la chanson ne parlent que d’un étudiant, et la femme n’est qu’ouvrière !

 

Différences entre les versions

Dans la version d’origine de “Lo Studente Passa“, l’histoire se déroule donc à Turin en Italie, comme dans la comédie “Addio Giovinezza!“. Mario, l’étudiant, y vient pour faire sa médecine.

La version française a bien entendu été adaptée, en se basant à Paris, mais en gardant le même corps d’études.

Une différence notable se situe sur la demoiselle: hormis son prénom passant de “Dorina” en version italienne à “Janine” en version française, sa profession est modifiée. Elle se trouve donc être dactylo à Paris dans la version allemande, et couturière à Turin.

Ce métier n’est pas anodin: à l’époque, Turin était “la ville de la mode”, et de nombreux ateliers de couture étaient logés au centre-ville, proches des Universités … On se doute bien que les étudiants passaient ainsi un temps certains à courtiser les jeunes couturières !

Une autre différence réside dans la « situation » des deux amoureux : dans la version française, ils vivent en concubinage, partageant une chambre comme le ferait un couple marié ; alors que la version italienne voit Mario et Dorina vivre séparément (Mario dans une chambre de location et Dorina chez sa famille). Il faut croire que le concubinage était à l’époque mieux toléré en France qu’en Italie !

 

Les auteurs

L’air a été composé par J.C. Ibanez, un musicien argentin. Les paroles ont quant à elles été écrites par E.M. Chiappo (Turin, 1892-1961 [4]), un éditeur musical et fabricant de pianos particulièrement connu à Turin. Il était de la famille de Felice Chiappo, qui fonda en 1825 la Maison du même nom.

Concernant les auteurs de “Addio Giovinezza”: Nino Oxilia était un poète,  auteur de pièces de théâtre et metteur en scène de cinéma muet; Sandro Camasio était journaliste, également auteur de pièces de théâtre et metteur en scène. L’un comme l’autre sont morts jeunes, Oxilia pendant la 1ère Guerre Mondiale, et Camasio des suites d’une méningite. Ils écrivirent Addio Giovinezza durant leurs années d’études à l’Université de Turin. 

A gauche: J.C. Ibanez. A droite: réclame de 1928 de la maison Chiappo

 

Les Catherinettes

Les “filles de la mode” à Turin étaient traditionnellement appelées “Catherinettes”. Chaque année, un bal était organisé, et les étudiants y étaient conviés. C’est souvent lors de ce bal que des histoires sentimentales arrivaient entre couturières et étudiants …

 

Affiche du dernier bal en date des Catherinettes en 1970 (à gauche), groupe de Catherinettes en 1904 (à droite)

 

Ce nom de “Catherinette” leur était donné en rapport avec Sainte-Catherine, dont la fête (le 25 novembre) célébrait les couturières.

On retrouve la même idée en France: Sainte Catherine est la patronne des filles à marier, et à Paris elle est également devenue la « protectrice » des modistes avant les années 20 (et même dès le début des années 1900, comme le suggère [5]).

A l’origine, un curé bénissait une statue de la Sainte et ce sont les filles à marier (entre 25 et 35 ans en général) qui étaient chargées de changer la coiffe de la statue. On parlait alors de “coiffer Sainte Catherine”, cérémonie qui avait lieu le 25 novembre.

          

A gauche: un curé coiffe Sainte-Catherine. A droite: groupe de Catherinettes

Avec le temps, plutôt que de coiffer la Sainte, les jeunes filles se sont mises à se coiffer elles-mêmes, avec des chapeaux en général extravagants, qui portent principalement des tons vert (couleur de l’espoir, de la foi), et jaune (couleur de la sagesse, de la fête, de la joie).

Cette tradition s’est par la suite surtout conservée dans le milieu de la mode et de la couture, car les ouvrières fleurissaient régulièrement une statue du quartier du Sentier, située à l’angle de la rue Poissonnière et de la rue Cléry (ce quartier est traditionnellement un lieu de confection de textiles), la même statue qui était coiffée le 25 novembre.

 

On retrouve ces liens entre Catherinettes et le domaine de la mode dans la chanson « les petites Catherinettes » [5], où les Maison Beer, Chérnit et Paquin (page 2) font référence à des maisons de couture [6,7].

Un grand merci à Paolo Benevelli pour ses apports documentaires, ses informations et ses pistes de recherche !

Sources

[1] Italy Word Club

[2] Le Prince Etudiant

[3] Bibliothèque Nationale de France

[4] Ricordando il trio Lescano

[5] Les petites Catherinettes, C. Mauselin et L. Mauger-Bourdelle, 1910

[6] Fashion: The Collection of the Kyoto Costume Institute : a History from the 18th to the 20th Century, Volume 1, Akiko Fukai, Taschen, 2002

[7] Encyclopaedia Universalis

 

Partition intitulée “L’Etudiant Passe”, par J.C. Ibanez.

 

faluche etudiant

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