Sanatorium des étudiants de France

Le Sanatorium des étudiants de France est un établissement situé aux Petites-Roches à Saint-Hilaire-du-Touvet près de Grenoble, qui, après avoir accueilli les étudiants tuberculeux jusque dans les années 1960, s’est orienté vers les étudiants et lycéens suivant des thérapies lourdes, ou handicapés, qui peuvent ainsi suivre leurs études. Il porte aujourd’hui le nom de Centre médico-universitaire Daniel-Douady (CMUDD) et constitue l’une des douze cliniques de la Fondation santé des étudiants de France (FSEF)1. Depuis 2008 le CMUDD a été délocalisé à Saint-Martin-d’Hères tel que Rocheplane, et a fait l’objet d’une démolition en 2019.

Histoire

Cet établissement est créé formellement lors du congrès de Clermont de l’UNEF en 1923, sous l’impulsion de militants de la faculté de médecine de Paris. Après des difficultés dans sa construction, dues principalement à des erreurs de gestion, il ouvre en 19331, et accueille son premier patient. Son premier médecin directeur, le Dr Daniel Douady lui donne un retentissement très fort, et avec l’aide de l’UNEF, se met peu à peu en place un système permettant aux étudiants tuberculeux d’étudier malgré les contraintes de la cure.

Autour du sanatorium proprement dit se met en place tout un réseau de maisons de cure, de précure et de post-cure, qui va considérablement se développer après la guerre, en particulier grâce à la fonction de directeur de la Santé du ministère de l’Éducation nationale qu’occupe Daniel Douady. Des établissements pour les étudiantes et les lycéens vont eux aussi s’ouvrir dans les années 1950 sous l’égide de la Fondation du sanatorium des étudiants de France, devenue depuis Fondation santé des étudiants de France (FSEF).

Le CMUDD était doté d’une piscine intérieure, d’un cinéma et de nombreuses salles de créations artistiques telles que des ateliers de poterie, de photographie, de peinture. Par ailleurs une bibliothèque riche de 55.000 ouvrages, constituée par des acquisitions propres ou par des dons de particuliers ou d’institutions était installée au dernier étage du Pavillon Vauthier. De nombreuses salles de sport étaient aussi disponibles.

 

 

Timbre : COMITÉ SUPÉRIEUR des ŒUVRES SOCIALES en faveur des Étudiants

 

SAINT-HILAIRE-du-TOUVET : M. HONNORAT, Auteur de la loi sur les Sanatoriums pose, au nom du Comité National de défense contre la tuberculose, la première pierre du Sanatorium des Étudiants (Œuvre créée par l’Union Nationale des Associations d’Étudiants de France).

 


Pour une histoire complète, je me permets de reproduire le texte de Didier FISCHER au sein des cahiers du GERME n°29 de 2011 (lien: http://www.germe-inform.fr/wp-content/uploads/2013/10/dossier-N%C2%B0-29.pdf)

Un cas pionnier de la représentation étudiante : la Fondation santé des étudiants de France dans l’entre-deux-guerres.

DIDIER FISCHER


La représentation étudiante est un thème récurrent de l’histoire contemporaine universitaire qui remonte au moins à la seconde moitié du XIXe siècle1. La naissance des œuvres et leur affirmation dans l’entre-deux-guerres permettent de lui donner une nouvelle dimension, voire de proposer une forme de modèle. Les AGE et l’UNEF sont très souvent à l’origine de ce mouvement original qui voit les villes universitaires se doter de restaurants pour nourrir les étudiants, de cités pour les loger ou encore de structures médicales pour les soigner. L’utilité publique de ces œuvres ne fait aucun doute dans cette France où l’ombre portée de la guerre obscurcit l’horizon. L’UNEF y gagne de nombreux adhérents tout en devenant un interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Cependant, dès l’origine la gestion directe de ces œuvres par les étudiants relève plutôt du mythe que de la réalité. Nous sommes en fait surtout dans l’esprit d’une gestion partagée. La crise des années trente accroît les difficultés d’un milieu qui ne recrute plus seulement parmi les « héritiers ». L’arrivée au pouvoir du Front populaire entraîne, sous la direction de Jean Zay, ministre de l’Education nationale, le regroupement des Œuvres au sein d’un Comité supérieur des œuvres sociales en faveur des étudiants (CSO). Après le temps des réalisations pionnières, une nouvelle étape débute : celle de l’institutionnalisation. Elle permet à l’UNEF de s’imposer comme la seule organisation étudiante réellement représentative. Si La représentation étudiante semble alors acquise, l’exemple de la Fondation sanatorium des étudiants de France2 nous montre la difficulté qu’il y eût à faire accepter à sa direction cette participation étudiante. Dans ce cas précis, pourtant pionnier en matière de représentation étudiante, nous restâmes très éloignés de la cogestion.

Le tournant de la Première Guerre mondiale et l’implication étudiante

La Première Guerre mondiale marque un tournant important dans le monde étudiant. A l’heure où se dressent les premiers monuments aux morts, la «jeunesse des écoles», durement touchée par le conflit, souhaite que le sacrifice des camarades, dont les noms sont désormais gravés dans la pierre, n’ait pas été inutile. Par-delà le pieux souvenir entretenu par les nombreuses commémorations, comment prolonger de façon concrète cette fraternité des tranchées et surtout répondre aux « soucis matériels (qui) touchent alors les rejetons d’une bourgeoisie appauvrie par la guerre3 » ? Aussi est-ce sous l’influence d’étudiants anciens combattants que se développent dans les années vingt les premiers services de placement, de logements, de santé et de restauration. L’AGE de Strasbourg, redevenue française, a pu servir d’exemple. En effet, héritière de la période allemande, cette dernière possède un restaurant universitaire et une caisse d’assurance maladie. N’y avait-il pas là de quoi susciter quelque envie ? Avant la guerre, les AGE, dont la plupart sont nées dans le dernier tiers du XIXe siècle, s’apparentaient à des clubs d’étudiants. Elles organisaient des bals, des repas et invitaient les étudiants à descendre dans la rue pour le monôme. Au local, on venait lire le journal, fumer cigarettes et cigares, converser, se divertir entre deux cours en préparant le futur chahut. C’est cette ambiance, souvent festive et insouciante, qui change après guerre. Les associations d’étudiants passent toutes en quelques années d’organisations vouées aux plaisirs et à la détente

1 Voir notamment les contributions de Pierre Moulinier et d’Alain Monchablon.
2 La Fondation sanatorium des étudiants de France devint Fondation santé des étudiants de France en 1961 pour tenir compte de la diversification de ses activités de soins.
3 Alain Monchablon, « L’UNEF et les étudiants de 1919 à 1939. Des élites inquiètes », Les Cahiers du Germe, n°1, mars 1996, p.5.
4 Henry Bérenger, « Etudiant », La Grande Encyclopédie, XVI, in Les Cahiers du Germe, spécial n°3, janvier 1998, p. 80.


à des sociétés d’entraide aux préoccupations sociales de plus en plus clairement affichées1. A Lyon ou à Lille, l’AGE crée et gère le premier restaurant universitaire. Partout, dans les villes universitaires où elles existent, ces associations d’étudiants s’inscrivent désormais dans une démarche d’utilité publique. Pour autant, elles ne sont pas toujours à l’origine de la création de ces services. Des philanthropes, des municipalités ou « des largesses privées pas toujours dénuées d’arrière-pensées politiques 2», à l’image de celles prodiguées par l’homme d’affaires d’extrême droite François Coty qui offre à l’AGE de Paris un restaurant universitaire, participent à cette évolution.

Pour épauler ce mouvement qui commence à prendre une certaine ampleur, le ministère de l’Instruction publique obtient l’inscription à son budget pour l’année 1921 d’un crédit de 200 000 francs destiné à ces œuvres sociales étudiantes. Il passe l’année suivante à 450 000 francs. En dix ans, l’augmentation rapide des sommes affectées aux différentes œuvres conduit le ministère à ne plus verser les subventions directement aux AGE et à étudier plus précisément la répartition des fonds mis à disposition. C’est ainsi que naît en 1930 la « commission des recteurs » chargée de répartir les subventions inscrites au budget entre tous les groupements intéressés, d’entendre et de discuter à cette occasion les rapports établis par les services des académies3. A de rares exceptions près les formes de gestion directes par les étudiants se heurtent au contrôle que veut exercer l’Etat sur les fonds publics qu’il accorde. Leur développement et l’importance qu’elles prennent exigent aussi un suivi, une continuité et une gestion rigoureuse que les étudiants ne sont pas toujours en mesure d’exercer : générations courtes, difficultés de formation aux pratiques gestionnaires…

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, un tournant a bien été pris. Les premières œuvres sociales en faveur des étudiants font leur apparition. Les AGE s’investissent essentiellement dans les restaurants universitaires. Elles ont néanmoins toutes les peines du monde à en conserver la gestion et se contentent souvent d’une représentation étudiante au conseil d’administration. La gestion directe pleine et entière par les étudiants des œuvres qui leur sont destinées relève plus du mythe que de la réalité. En 1946, cinq restaurants restent directement gérés par l’association générale des étudiants4. A côté de ces œuvres locales, l’UNEF participe à la mise en place d’organismes nationaux et spécialisés sous statut associatif destinés à améliorer les conditions de vie et d’études des étudiants. Le sanatorium des étudiants de Saint-Hilaire-du-Touvet, l’Office du tourisme universitaire, le Bureau universitaire de statistique, l’Office du Sport universitaire appartiennent à cette catégorie des réalisations d’envergure qui ont marqué ces années de l’entre-deux-guerres. La dimension même de ces organismes ne plaide pas en faveur d’une gestion directe, voire même d’une représentation étudiante à parité avec les pouvoirs publics et autres représentants privés, à l’exemple de la Fondation sanatorium des étudiants de France.

La naissance du premier sanatorium étudiant en France : de l’initiative étudiante à la remise en cause de la gestion étudiante.

Les ravages de la tuberculose en milieu étudiant ne peuvent plus laisser indifférents les responsables de l’UNEF. Le professeur Léon Bernard (1872-1934), membre de l’Académie de Médecine et vice-président du Comité national de défense contre la tuberculose, insistait d’ailleurs sur les conditions particulièrement pathogènes du milieu étudiant qui multiplie en son sein « les facteurs de diffusion de la cruelle maladie ». Pour appuyer son propos, il n’hésite pas à comparer la mortalité des « élites » lors de la Première Guerre mondiale avec celle qu’entraîne parmi elles la tuberculose au début des années vingt5. En 1919, le sénateur André Honorat a fait voter une loi qui permet à l’Etat d’apporter son aide au financement des sanatoriums et qui oblige les employeurs à financer le séjour de leurs employés tuberculeux. A l’exemple des instituteurs, des cheminots, des métallurgistes, de nombreux groupements professionnels se lancent alors dans la construction de ce type d’équipement médical. Pourquoi, dans ce contexte, les étudiants ne pourraient-ils pas disposer eux aussi de leur structure de soins ? Et cela d’autant plus, qu’un

1 Didier Fischer, « L’UNEF de l’entre-deux-guerres », in Les Cahiers du Germe, spécial n°3, janvier 1998.
2 A. Monchablon, op.cit., p.6
3 Stéphane Merceron, « Aux origines des Œuvres universitaires », intervention au congrès de la FAGE, le 3 novembre 1995.
4 BDIC 4° delta 1151/1, congrès de Grenoble, commission de la vie matérielle des étudiants, pp. 1-11.

5 Léon Bernard, in Strasbourg Universitaire, décembre 1924.


exemple existe à l’étranger : il s’agit du sanatorium de Leysin en Suisse. Il a ouvert ses portes en 1922, grâce à la volonté du docteur Louis Vauthier qui a consacré sa fortune et celle de sa femme à cette œuvre. Cet événement n’a pas échappé à un étudiant en médecine, membre de l’AGE de Paris, Jean Crouzat, qui convainc le président de l’UNEF, Amabert, jeune docteur en médecine, de soumettre l’idée de la création d’un sanatorium étudiant au prochain congrès de l’UNEF. A Clermont-Ferrand, le 16 mai 1923, sur la proposition de la Section de Médecine de l’AGE de Paris, l’UNEF accomplit le premier geste significatif pour se doter d’un instrument de lutte contre la tuberculose. Les congressistes adoptèrent à l’unanimité la résolution suivante : « Qu’un Sanatorium Universitaire, destiné exclusivement aux Etudiants, soit créé dans le plus court délai1 ». Le journal de l’AGE de Bordeaux, quelques mois plus tard, rendait compte en ces termes de la résolution du congrès de mai 1923 : « Il faut aux étudiants tuberculeux une maison à eux ! Une maison où ils mèneront leur cure dans une atmosphère morale qui en favorisera les résultats, où ils trouveront les ressources leur permettant de concilier avec leur état et son traitement la continuation au moins partielle de leurs études, où ils jouiront même de ce commerce si désirable des disciplines intellectuelles différentes, dont l’organisation de la vie universitaire normale ne leur permet guère de bénéficier. Il y a plus : pour certains d’entre eux, les étudiants en médecine, le sanatorium en leur rendant la santé, leur dispensera les moyens d’apprendre à la rendre à autrui ; il sera une école et un levier d’orientation professionnelle2 ».

A l’initiative du projet, les étudiants sont dans un premier temps étroitement associés à sa réalisation. Le bureau de l’UNEF en étudie d’emblée sa faisabilité. Un comité d’organisation se met en place sous la présidence d’Amabert, devenu médecin à Grenoble, avec pour secrétaire général Jean Crouzat, tandis que le président et le trésorier de l’UNEF le complètent. Une commission médicale, présidée par le professeur Léon Bernard, est installée pour conseiller le comité d’organisation sur tous les problèmes médicaux qu’il pourrait rencontrer lors de la construction du sanatorium. Enfin, un comité de patronage avec à sa tête le sénateur Honorat est créé. Il est doublé d’un comité local de patronage à Grenoble, présidé par le recteur Henri Guy, dont le but est de recueillir les fonds nécessaires. Le choix de Saint-Hilaire du Touvet, près de Grenoble, sur le plateau des Petites Roches est rapidement décidé. Plusieurs raisons y concourent : la présence d’Amabert à Grenoble, mais aussi celle de M. Gavet, ancien architecte de l’assistance publique de Paris, qui a accepté de tracer les plans du futur établissement pour étudiants. Enfin, l’Association métallurgique et minière contre la tuberculose (AMMT), qui envisage de faire construire sur le même plateau son propre sanatorium, accepte de céder une partie du terrain à l’œuvre étudiante. Cependant sa construction est lente puisqu’il n’ouvre ses portes aux premiers malades qu’en 1933. Il est vrai qu’il avait fallu faire appel en partie à des dons privés pour en financer les travaux3. Les étudiants multiplient les collectes et les fêtes de bienfaisance. A Strasbourg, par exemple, se forme en 1925 à l’initiative de l’AGE, un comité régional pour le sanatorium qui groupe des cercles et des amicales d’étudiants. Le 26 avril 1925, il organise une journée festive avec kermesse, thé dansant et attractions diverses, qui se conclue par une soirée artistique et un bal au Palais des Fêtes de la ville.

 

 

Mais le dévouement des étudiants et la participation de généreux donateurs n’auraient pas suffi pour réunir l’ensemble des fonds nécessaires. La plus grande partie des financements provient en fait des subventions des pouvoirs publics. Elles mettent souvent du temps à arriver et les retards sur le terrain s’accumulent. De plus une certaine confusion règne dans les relations entre l’UNEF et le comité d’organisation du sanatorium. Des initiatives contradictoires sont prises. Par exemple, en 1930, le congrès d’Alger décide de réserver l’entrée de l’établissement de soins aux étudiants membres de l’UNEF, alors que le projet initial était ouvert à tous les étudiants. Faut-il voir dans cette initiative le mécontentement de l’organisation étudiante face à une gestion qui lui échappe de plus en plus ? Des difficultés techniques liées à l’altitude, un changement d’emplacement des bâtiments et de multiples erreurs de conception ont aussi considérablement renchéri le coût du projet. On est ainsi passé de 4 millions de francs, prévus en 1924, à 15 millions en 1932. En avril 1931, le retard pris est tel et la gestion financière si douteuse qu’une expertise du ministère de la

1 UNEF, Le Sanatorium des Etudiants à Saint-Hilaire du Touvet, Montpellier, Imprimerie Roumégous et Dehan, 1925, p.7, Archives de la FSEF/1408.
2 Bordeaux Etudiant, novembre 1924.
3 Bordeaux Etudiant, avril 1925, fait état d’ « Un don magnifique au sanatorium des étudiants ». Madame Paul Flat offre 500 000 francs. Les journaux étudiants publiaient assez régulièrement des états des fonds collectés avec leur provenance.

Santé publique est demandée par l’UNEF, sous forme d’une motion votée à l’unanimité lors de son congrès.

Une Mission «en vue d’étudier les mesures à prendre pour réorganiser le Sanatorium des Etudiants et arriver à terminer cet établissement » est conduite sous la direction du docteur Evrot1. Si l’enquête ne conclut pas formellement à des actes de malversation, elle met en évidence une gestion très « personnelle » du docteur Amabert, président du comité d’organisation du Sanatorium des Etudiants, « celui-ci en effet gère directement les fonds […], passe les commandes, prend toutes les décisions. Le Conseil d’administration, réuni du reste très rarement, se trouve souvent devant des décisions déjà prises2 ». Une réorganisation s’impose donc de toute urgence. Pour le rédacteur du rapport, « les pouvoirs publics se sont trop désintéressés de la création de l’établissement, sinon pour accorder des subventions importantes […] » et les étudiants, à qui on a abandonné l’initiative, « n’avaient ni l’expérience, ni la continuité de vues, ni la certitude de ressources propres pour mener à bien une œuvre pareille ». Sans complaisance à leur égard, il insistait même : « Un sanatorium peut être réservé aux étudiants sans être créé et géré par eux. Il est même préférable qu’il n’en soit pas ainsi3 ». La charge est sans nuance et bien paradoxale : cette enquête demandée par l’UNEF débouche en partie sur la mise en cause de la responsabilité des étudiants tandis que la représentation étudiante dans les différentes instances de gestion du futur sanatorium reste bien limitée. Il est clair que la participation étudiante ne va pas de soi pour le docteur Evrot. Ne faut-il pas voir là de la part du rapporteur, l’expression d’une opinion dominante à l’égard de toute implication étudiante à la gestion de ses propres affaires au début des années trente ? Qu’ils se contentent d’être les usagers d’une œuvre qui les dépasse et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, peu importe s’ils furent à l’origine du projet. Pourtant si cette représentation étudiante était contestée par lesmédecins, personne n’osa revenir dessus tant elle avait marqué les esprits par son originalité. On préféra l’encadrer. Ce fut, en quelque sorte, le régime de la liberté surveillée qui triompha lorsque le sanatorium ouvrît ses portes en 1933.

Une Fondation pour construire et gérer le sanatorium ou les limites de la participation étudiante

La Fondation réunit, dès son origine, des étudiants dont le président de l’UNEF et son trésorier, des universitaires et des techniciens. La présidence du Conseil d’administration est assurée par le recteur de Grenoble. C’est la première fois que sont ainsi associés étudiants et professeurs pour mener à bien et ensuite animer sur un pied d’égalité une œuvre commune. Elle prend le nom de Fondation sanatorium des étudiants de France et est reconnue d’utilité publique par le décret du 23 mai 1925, avant même qu’elle ne soit en mesure de soigner ses premiers malades. Elle demeure une œuvre privée, mais placée sous le contrôle du ministère de l’Intérieur en tant que Fondation, du ministère de la Santé publique et de la population en tant qu’œuvre antituberculeuse et du ministère de l’Education nationale en raison de son caractère universitaire4. Cette participation de l’Etat à la naissance, puis à la gestion du premier sanatorium étudiant n’est pas fortuite. Elle procède d’une tradition hygiéniste déjà ancienne qui remonte au moins au milieu du XIXe siècle : en 1850, la loi sur les logements insalubres fixait les premières règles modernes de salubrité publique et donnait un cadre à l’idéal de la cité antituberculeuse. La guerre de 1914-1918 fournit à l’Etat des raisons supplémentaires d’intervenir dans le domaine de la santé publique :« on découvre après la victoire de 1918, que la nation doit rester mobilisée pour lutter contre ses véritables « ennemis intérieurs » que sont la dépopulation, l’alcoolisme, la tuberculose ou la syphilis 5». Avec cette représentation des étudiants au sein de la Fondation sanatorium, l’UNEF trouve là sa « montagne magique » : l’air des cimes pour les bronches estudiantines et un modèle indépassable de participation étudiante à la gestion de son propre avenir, voire un lieu mythique où se régénérerait l’esprit même du syndicalisme.

1Rapport Evrot, archives de la FSEF/1408.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 BDIC 4° delta 1151/1/1958-1.
5 Pierre Rosenvallon, L’Etat en France de 1789 à nos jours, Paris, Le Seuil, 1990, p. 131.

Un médecin comme le docteur Daniel Douady, qui dirigea le sanatorium de Saint-Hilaire, avant de prendre après la Seconde Guerre mondiale la direction de la Fondation, se rattache à ce courant hygiéniste.
A la veille de la Seconde guerre mondiale, nous sommes néanmoins très éloignés de toute forme de cogestion au sein de la FSEF. L’UNEF est certes représentée par son président et son trésorier au conseil d’administration, mais ne pèse pas au-delà des deux voix qu’elle réunit. Les malades sont toutefois représentés au sein du sanatorium par une association : « Les étudiants au Sanatorium » (AES). Elle est née le 12 février 1934 et ses statuts lui donnent pour but « d’établir des liens d’assistance morale et de secours entre les étudiants, universitaires et collaborateurs de l’Université qui se soignent au Sanatorium des Etudiants, dans d’autres sanatoriums ou dans des stations de cure, entre ces étudiants malades et leurs camarades de toutes les facultés et écoles1 ».Au-delà de cette mission sociale, la charge d’animer la vie culturelle de l’établissement fait aussi partie des attributions de l’association. L’AES peut ainsi créer des organismes tels qu’une caisse d’entraide, un vestiaire pour les étudiants nécessiteux, des bibliothèques, un office de renseignement, de placement et d’orientation professionnelle pour les étudiants quittant le sanatorium, mais encore organiser des conférences et distractions diverses, éventuellement publier des périodiques. L’AES n’est guère éloignée dans ses objectifs et ses pratiques du rôle joué par les AGE affiliées à l’UNEF dans les différentes facultés de l’Université française. Dans l’esprit des médecins, cette participation étudiante concoure aussi au traitement. Elle permet à ces jeunes de prendre des responsabilités, d’investir leur énergie dans un projet collectif et d’oublier un temps le caractère préoccupant de la maladie. Ainsi le sanatorium est-il bien leur « maison ». Une « maison » qui dans son organisation répond aux valeurs et aux objectifs que la Fondation s’assigne : il ne s’agit pas seulement de rendre la santé aux étudiants, de s’inscrire dans la démarche d’un grand service public, il faut aussi faire œuvre d’éducation. Si les médecins n’hésitent pas à confier des responsabilités culturelles aux étudiants malades, ils se montrent toujours très réservés, pour ne pas dire hostiles, à tout renfort de pouvoir au sein du CA de la FSEF. Ils n’acceptent pas plus qu’ils puissent prendre une part déterminante à l’organisation même du fonctionnement de l’établissement, qu’ils puissent avoir un droit de regard jusque dans sa gestion administrative. Par exemple, l’organisation des études, balbutiante à la veille de la Seconde guerre mondiale, appartient au domaine réservé du médecin-directeur. Il n’est pas question de voir les étudiants s’en mêler, sinon pour prendre quelques initiatives culturelles : collecte de livres, organisation de conférences, constitution de groupes d’études… L’affaire engage la crédibilité de l’établissement. La possibilité de poursuivre des études, en dépit des atteintes de la maladie et pendant le temps des soins, fait partie de l’originalité d’une telle structure. Aussi est-ce à l’équipe de direction d’en assumer la responsabilité, mais surtout pas aux étudiants malades que l’on considère souvent comme peu tourner vers la rigueur gestionnaire, voire fantasques.

Si la représentation étudiante ne naît pas de la Première guerre mondiale, elle prend dans l’entre-deux-guerres une nouvelle dimension autour de la création et de la gestion des œuvres en direction des étudiants. Une forme de modèle représentatif s’affirme qui fera les beaux jours des années cinquante et soixante avec cette cogestion du CNOUS. Pour autant, l’exemple de la FSEF montre bien que cette évolution est loin d’aller de soi. Si l’UNEF s’appuya sur cette forme de participation pour asseoir sa crédibilité sur le monde étudiant, elle n’obtiendra jamais une gestion paritaire de l’organisme qu’elle a pourtant contribué à créer. La méfiance des médecins vis-à-vis de ce type de revendication, le caractère original et particulier d’un sanatorium étudiant à la fois lieu de soins et de poursuite d’études, le développement important et complexe de l’œuvre pendant et après la Seconde guerre mondiale empêchent toute gestion directe par le mouvement étudiant et l’obligent à se contenter d’une représentation minoritaire au conseil d’administration. La seconde moitié des années soixante n’en voit pas moins l’amorce d’un débat sur la place des pensionnaires et de leurs représentants dans la vie de la Fondation. En mai 1967, un groupe de travail « sur les problèmes de la cogestion » est mis en place entre la Fondation, la MNEF et l’AGES (nouveau nom de l’association des étudiants des maisons de la FSEF), mais les événements de Mai 68 et leurs prolongements par l’éclatement de l’UNEF en 1971 aboutirent un temps à la disparition de toute représentation étudiante au sein de la FSEF2. Ce qui ne fut pas pour ses dirigeants et administrateurs un réel souci. D’ailleurs, les patients sont les oubliés des éléments préparés par le docteur Douady pour le discours que le président Colliard doit

1 Archives de la FSEF/A 86. Statuts de l’Association « Les étudiants au sanatorium », article 1.
2 Didier Fischer et Robi Morder, La Fondation Santé des Etudiants de France. Au service des jeunes malades depuis 1923, Editions Un, Deux… Quatre, 2010, pp. 145-146 et pp. 153-156.


prononcer lors de la célébration du cinquantième anniversaire de la Fondation. Ce dernier évoqua seulement le conseil d’administration dont les « plus récents statuts approuvés par la Conseil d’Etat, associe dans un bon équilibre des représentants de l’Etat, des personnalités compétentes et des diverses catégories des personnels qui y soignent, travaillent ou enseignent1 »

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