2012 – Etude – De l’origine du béret ou les tribulations d’une galette pas comme les autres

l’origine du béret ou les tribulations d’une galette pas comme les autres

En fait, l’origine du béret a été très vite oubliée des étudiants français. Le souvenir d’un rassemblement étudiant en Italie est vaguement resté, mais dès le début du XXème s. on trouve des références variées comme un congrès à Venise. Guy Daniel a recherché l’origine du béret et pose la date de juin 1888 en s’appuyant sur un livre d’Henri Bourrelier paru en 1936.

C’est cette trouvaille qui lança l’idée du centième anniversaire de la faluche. Le livre relate, entre autre, le congrès de Bologne en juin 1888 lors des fêtes du huitième centenaire de l’Université. Les illustrations reprennent bien des étudiants français coiffés du béret de velours noir. Mais ces illustrations datent de 1936. En revanche l’auteur du livre est précis dans ce qu’il rapporte. En fait il cite un autre auteur, Ernest Lavisse. Lors de mes recherches de 1992 à 1994, je suis remonté aux discours d’Ernest Lavisse et tout semblait bien corroborer la date de juin 1888. Ces discours, parus en 1891, datent de 1888 et 1890, au lendemain des fêtes de Bologne. Comment ne pas croire le récit d’un témoin privilégié de ces fêtes, proche des étudiants ? Donc, la délégation d’étudiants parisiens aurait ramené le béret des habitants de la région bolognaise ou des étudiants bolognais eux-même.

Et si c’était un peu plus compliqué que cela ?

Essayons de retracer le déroulé de cette histoire. C’est au début des années 1880, à la charnière 1884-1885 plus exactement, que les étudiants parisiens fondent une association pour se regrouper et défendre leurs intérêts. Il s’agit de l’association générale des étudiants de Paris. Ce n’est pas la première association d’étudiants mais c’est la plus grande alors, grande par le nombre de ses étudiants, Paris étant de loin la ville comptant le plus d’étudiants, et celle qui reçoit le plus d’échos dans la presse. La presse parisienne couvre le moindre événement estudiantin et la moindre manifestation de cette association qui est vite appelée l’A. La presse parisienne et par ricochet la presse provinciale qui lui est parfois très liée. D’autres villes universitaires voient éclore des associations générales d’étudiants (AGE) qui sont, elles aussi, bien souvent appelées l’A. Mais c’est à partir de 1889. Pourquoi ? Parce que l’A de Paris a convaincu de l’importance de pouvoir être représentée, qu’avec une AGE, les municipalités trouvent des interlocuteurs et peuvent doter les étudiants d’une maison, entre autre, mais aussi qu’une association pouvait envoyer une délégation pour les représenter lors de fêtes universitaires. Être représenté c’est exister. Il y a aussi la pression des politiques et universitaires tels que Louis Liard et Ernest Lavisse. J’ai déjà démontré cela il y a 18 ans, je ne reviendrai pas dessus. J’avais montré aussi comment ces mêmes personnes ont incité les étudiants de province à imiter leurs homologues parisiens en créant des AGE et en adoptant le béret.

Ces adoptions se sont produites de 1889 à 1891 selon les universités. Et parfois même après. Nous avons donc ici dégagé deux temps forts sur lesquels il conviendrait de revenir plus précisément, à savoir les fêtes de Bologne et le retour de la délégation parisienne puis la décennie de 1889 à la veille du XXème s., période pendant laquelle l’ensemble des étudiants de France adopte le béret.

Donc l’A de Paris a répondu à l’invitation des étudiants de Bologne et a envoyé une délégation parisienne les représenter aux fêtes du huitième centenaire de l’Alma Mater, l’Université de Bologne début juin 1888.

Cette délégation se sentait nue et aurait adopté le béret des étudiants de Bologne. C’est en tout cas la version d’Ernest Lavisse qui observe la jeunesse parisienne avec le regard d’un homme qui a déjà un âge vénérable, 46 ans. Il est vrai que ces fêtes semblent bien avoir été un rassemblement de tenues universitaires (il consacre de longues descriptions sur les différentes toges) et de coiffes en tous genres. En parallèle des fêtes universitaires officielles, les étudiants de Bologne ont organisé leurs propres fêtes, « fêtes de la jeunesse » écrit Lavisse. Je ne reviendrai pas sur les fêtes de Bologne que j’ai déjà traitées dans d’autres travaux. Elles furent « magnifiques » n’en doutons pas. Elles sont relatées dans la presse nationale car, ne l’oublions pas, elles se déroulent dans un contexte de tensions politiques entre la France et l’Allemagne au moment où la fièvre boulangiste échauffe les esprits. Or des étudiants allemands sont aussi présents à Bologne, d’Heidelberg et de Strasbourg entre autre. La presse scrute la tenue des étudiants français qui doivent tout à la fois tenir leur rang et ne pas sympathiser avec l’ennemi. Les étudiants français se sont trouvés endosser un rôle diplomatique qu’ils n’avaient peut-être pas imaginé.

Après les réceptions et les banquets, la délégation étudiante parisienne est rentrée en France. Mais les jeunes diplomates ne rentrent pas directement sur Paris. Ils font un véritable tour d’honneur dans différentes villes italiennes et dans les villes universitaires françaises qui se trouvent sur le chemin du retour. Ils font des haltes et sont reçus comme des héros qui ont représenté la jeunesse universitaire française à l’étranger, lors d’un évènement qui a fait l’actualité internationale : Bologne officialisait par ces fêtes son rang de plus ancienne université du monde. Donc, voilà nos étudiants fêtés comme ambassadeurs tout au long de leur retour. Ambassadeurs, assurément, ils l’étaient car s’ils sont arrivés têtes nues en Italie, ils avaient tout de même le drapeau de leur association, c’est à dire le drapeau tricolore avec les armes de l’Université parisienne et le nom de l’AGE parisienne. Ce drapeau fut honoré en Italie, embrassé par les étudiants italiens et salué par les autorités. Sans doute la délégation devait se remémorer les mots de Jeanne d’Arc « cet étendard avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fut à l’honneur ». 1871 n’était pas si lointain.

Lors de son retour la délégation s’arrête à Marseille, à Aix, à Lyon… À chaque étape elle est reçue en grande cérémonie, banquets et discours se succèdent. Les membres de la délégation sont coiffés d’un béret de velours et cela n’échappe pas aux autres étudiants. La presse parle de béret, parfois de bonnet. Ils ont aussi les rubans en traversière aux couleurs nationales et universitaire (violet). Leur passage incite à suivre l’exemple parisien et donc à créer une AGE qui puisse représenter ses étudiants aux fêtes universitaires. En effet, des fêtes universitaires sont annoncées un peu partout en Europe. Des liens se sont tissés entre les étudiants européens, entre Français, Belges, Italiens, Suisses. La presse est un bon indicateur de ces évènements  Il est surprenant de constater la rapidité de circulation des informations. La France entière était au courant de ce que vivait la délégation française bien avant son retour, ce qui explique la ferveur avec laquelle elle est accueillie à son retour. Un retour qui dure plusieurs jours et ne fait qu’augmenter l’impatience des étudiants parisiens de retrouver leurs camarades pour leur offrir les honneurs. Les facultés renaissaient et les universités attendaient de pouvoir retrouver leurs noms et leurs statuts disparus depuis un siècle. C’est donc à Paris que nous retrouvons la délégation à la fin du mois de juin. La presse relate en détail ce retour à la capitale et c’est là que nous allons trouver les informations qui remettent en cause les origines jusqu’alors supposées du béret.

La délégation arrive à Paris le lundi 25 juin en soirée. Elle est accueillie sur les quais de la gare de Lyon par les membres de l’A de Paris et la presse. Lampions allumés à bout de canne, la cohorte d’étudiants rentre au siège de l’A dans un grand monôme. La Presse couvre l’évènement  En effet Le déplacement à Bologne a suscité des débats en France. Pour les résumer, des journalistes proches des tendances boulangistes, et donc particulièrement revanchards, ont avancé que les étudiants français avaient sympathisé avec les étudiants allemands. Le retour est donc l’occasion pour la presse parisienne d’apporter un éclaircissement définitif au scandale avec les explications du président de l’A M. Chaumeton qui s’en défend. Nous trouvons donc des descriptions précises de ce retour, et notamment des descriptions physiques. La délégation des étudiants de Paris est bien coiffée d’un couvre-chef particulier mais sa description ne correspond pas précisément à ce que l’on avait pu croire jusqu’à présent. Ils portent une sorte de béret ou bonnet qui leur a été offert à Bologne par les étudiants italiens qui les avaient si chaleureusement invités pour les fêtes universitaires. Il s’agirait d’un petit béret dont la couleur entière indiquerait les études suivies par le détenteur. Assurément, on est loin du béret estudiantin que l’on connait. Il nous faut donc revenir à Bologne, au moment des fêtes pour retrouver l’origine de ce petit béret et mieux découvrir à quoi il correspond.

 

À Bologne, les étudiants italiens ont voulu honorer leurs invités en leur offrant un couvre-chef qu’eux-même arboreraient. Pour ce faire ils se sont inspirés de représentations médiévales d’escholiers (bas-relief en bois, dessins..). Il s’agit en fait d’une calotte assez commune chez les clercs qui permet de protéger les cheveux. Les bords latéraux recouvrent les oreilles et peuvent être relevés. C’est cette disposition qui a été conservée en 1888 et les bords ont été cousus au bonnet. Il restait à trouver la matière. Il semblerait que l’on pouvait trouver du velours léger de couleurs variées en quantité suffisante et à un prix réduit. Facile à faire, d’un coût peu onéreux et d’une facture médiévale, ce bonnet avait tous les arguments pour plaire et coiffer la tête des étudiants venus fêter la première université du monde. En effet si l’on observe les sources iconographiques des fêtes de Bologne, on remarque que ce bonnet est omniprésent. Il est devenu, pour les participants, le symbole de la jeunesse estudiantine dans ce qu’il représentait la fraternité étudiante avec ses regroupements (et donc des associations qui les identifient) et le symbole des Sciences (les disciplines enseignées à l’Université).

Ce bonnet porte le nom d’orsina. Son usage en Italie a perduré et existe encore aujourd’hui de manière confidentielle même si très vite après les fêtes, les étudiants italiens ont adopté une nouvelle coiffure, plus recherchée, inspirée des coiffes médiévales des hérauts. Cette autre coiffe, en feutre rigide et plus chère, existe déjà à l’Université de Padoue en février 1889. Peut-être même existe-t-elle avant mais les sources manquent.

Elle est tout simplement appelée il berretto et plus tard il berretto goliardico. Ce béret change de sexe au début du XXème s., dans les années 1920, où l’on commence à trouver l’appellation de feluca en résonance avec sa forme (felouque). Le bonnet est de couleur différente selon les études, c’est un principe conservé par la feluca.

 

Ce bonnet a marqué les esprits non seulement de la délégation parisienne qui ne l’a pas quitté de la tête pendant tout le chemin du retour, mais aussi les esprits de tous les étudiants rencontrés pendant les étapes. Mais ce n’est pas ce bonnet que les étudiants de Paris ont adopté. Les seuls qui l’ont conservé sont les étudiants de la délégation. Ils l’ont conservé en souvenir et s’en sont inspiré pour inventer un couvre-chef original destiné aux étudiants de l’A de Paris. Le béret estudiantin français n’est donc pas né d’une adoption à Bologne même si son origine ne peut être séparée d’un contexte estudiantin européen où la jeunesse cherche à établir des relations internationales et d’une époque où déjà le costume dit qui l’on est. C’est donc ailleurs qu’il faut chercher la naissance du béret estudiantin français.

Paris est alors la ville universitaire par excellence. De plus il est question d’inaugurer les bâtiments de la nouvelle Sorbonne lors de l’exposition universelle de 1889. Mais pour l’heure nos recherches nous ont amenés à la fin du mois de juin 1888, et c’est aussi la fin de l’année universitaire. Il faudra attendre la rentrée pour retrouver trace des activités des étudiants parisiens.

Je n’ai pas trouvé de source documentaire concernant un béret pour les étudiants avant le fin de l’année civile. C’est donc au mois de décembre que l’A a décidé d’adopter un béret comme coiffe officielle. Là encore on ne peut que s’appuyer sur les descriptions qu’en donne la presse. Ces descriptions sont parfois hasardeuses ou confuses, et il ne faut pas toujours les prendre au pied de la lettre, entre coquilles et amalgames. La chronologie est importante pour ne pas être perdu dans la confusion que suscite la naissance du béret. Il y a bien confusion car ce béret est moqué dès le  début, puis il est envié et copié, il est désaimé et abandonné puis repris. Il est même censuré et interdit de séjour dans Paris. Et tout cela en 3 mois seulement. Quand cette affaire se calme, la tour de Jean Eiffel qui atteignait tout juste son deuxième étage au retour de Bologne est finie. Cette tour moquée, qui fut la risée publique alors destinée à ne durer qu’une vingtaine d’années est bien la soeur jumelle du béret estudiantin, tous deux réunis par un destin parallèle et tellement semblable. Tous deux pourtant devenus à l’aube du XXème s. un symbole immanquable qui a dépassé les frontières.

En décembre 1888 les étudiants de Paris annoncent qu’ils ont décidé d’adopter un béret comme apparat officiel. Ils précisent aussi les distinctions qui apparaîtront sur le béret pour indiquer les études de l’étudiant. On constate qu’ils s’inspirent de l’orsina pour ce qui est de l’utilisation de la palette des couleurs afin d’identifier les disciplines universitaires. L’annonce est faite par voix de presse en décembre 1888 et les bérets apparaissent pour la première fois au Quartier Latin le lundi 15 janvier 1889. Une naissance ça s’annonce et ça se fête comme il se doit. Dans le monde estudiantin, c’est par le monôme que cela se fait, que cela se forme !

Alors pour ce qui est d’arrêter une date pour la naissance du béret, que choisir? La longue maturation jusqu’à la prise de décision, d’octobre à décembre, ou bien l’apparition en public? Toujours est-il que l’annonce ne laisse pas indifférente la presse et que l’apparition des bérets ne laisse pas indifférentes la population et la maréchaussée comme le confirmera peu de temps après la réaction du Préfet de Paris (on se souvient qu’il n’y a pas de maire à Paris à cette époque et longtemps après encore). Le monôme a lieu à la fin du mois de janvier et l’on en trouve les échos dans la presse.

 

Voilà donc la naissance du béret étudiant en France et plus précisément à Paris. Il est probablement, dans un premier temps, violet aux couleurs de l’Université et possède un ruban circulaire qui indique les études. En tout cas, c’est ainsi pendant un ou deux mois car dès le mois de février l’affaire du béret déchaîne l’actualité. Cette galette doit bien posséder une fève dorée qui a libéré les quolibets et les convoitises. Un apparat futile et superficiel ? Si c’était vraiment le cas il ne serait pas né dans des fièvres passionnées.

Les faits sont complexes. La Presse, quotidien de l’époque, relate une manifestation anti-boulangiste, organisée par des étudiants, le vendredi 21 décembre 1888. L’article rapporte l’existence de bérets violets avec un galon de couleur selon les disciplines. Quelques jours plus tard, l’A faisait paraître un démenti précisant qu’elle n’était en aucun cas l’organisatrice de la manifestation puisque ses statuts précisant son apolitisme l’en empêchait. Cette neutralité politique était d’ailleurs un reproche récurrent de nombreux étudiants républicains. On en retiendra que l’idée d’une coiffe a longtemps circulé et que certains étudiants s’étaient dotés d’un béret. La manifestation appelait les étudiants à se distinguer par ce béret, l’article les nomme « caquettistes » et ajoute que la manifestation fut un échec, que seuls quatre étudiants arboraient le béret. Ce pourrait être la première apparition du béret et celui-ci aurait commencé à fleurir sur les têtes estudiantines de façon spontanée. L’A a finalement officialisé la coiffe quelques jours après.

Les manifestations anti-boulangistes où les étudiants conspuent le général et crient leur soutien à la République se succèdent. Pour la population et la presse il y a amalgame entre les étudiants, le béret et l’A de Paris. La presse boulangiste se moque de la coquetterie des étudiants. La population boulangiste réagit violemment contre les étudiants « futurs bourgeois ». Le préfet de Paris signe un arrêté le 9 février limitant le port du béret au seul Quartier Latin. Le béret est tantôt associé à l’image des étudiants militants républicains que la presse surnomme le « gang des velours », tantôt associé aux étudiants membres de l’A qui paradaient lors des cérémonies officielles auxquelles ils étaient invités. Toujours est-il qu’il est souvent question de bérets. Et c’est ainsi que très vite une fièvre s’empare de la population : c’est la « bérétomanie ».

Des collégiens, des garçons coiffeurs, toutes sortes de corporations se mettent à adopter un béret comme coiffe distinctive. Il est même des médecins qui s’interrogent sur l’utilité de porter une casquette particulière qui leur permettrait d’être reconnus. Les membres de l’A parisienne pensent abandonner le béret alors qu’au même moment d’autres villes universitaires le voient apparaître dans les associations de province.

Et puis finalement l’A décide de résister à cette fièvre et de ne pas laisser le béret leur échapper. Pour ce faire, le bureau de l’A décide de déposer le modèle du béret et d’en réglementer le port en le réservant aux seuls étudiants dont les filières sont représentées à l’A. Ils font un appel d’offre aux chapeliers parisiens. Les premiers bérets étaient confectionnés sans réel contrôle, désormais le béret étudiant sera entre les mains d’un chapelier qui veillera à la conformité de la coiffe. Pourtant il a bien existé plusieurs variantes du béret qui ont coexisté. Le modèle qui est finalement choisi est un béret de velours noir. Il possède une palme universitaire cousue sur le fond et est agrémenté d’un galon aux couleurs de la ville de Paris, bleu et rouge. Le galon tient grâce à des passants. Ce modèle existe quelques années et disparaît peu à peu. Toutefois le premier modèle est toujours porté comme on peut le voir sur la gravure de la délégation parisienne aux fêtes universitaires de Montpellier en 1890.

Le béret connaîtra d’autres évolutions et d’autres variantes avant de se fixer dans la forme que nous lui connaissons aujourd’hui, mais ces mutations doivent s’observer à l’échelle du pays puisque dès le mois de février 1889 d’autres associations d’étudiants ont, à leur tour, adopté une coiffe. Le béret s’exporte et arrive en province. Ce sont ces tribulations que nous allons aborder dans le deuxième temps fort que nous avons dégagé au début de cette étude.

 

Les étudiants des universités de province, fortement soutenus par les autorités universitaires, fondent à leur tour des AGE. Ces mêmes autorités les invitent à adopter le béret de leurs camarades parisiens. C’est ce que font les étudiants d’Aix réunis dans un cercle des étudiants, bien avant d’avoir créé leur AGE. L’A de Paris profite de l’exposition universelle de 1889 pour inviter les étudiants de province et d’Europe pour l’inauguration de la nouvelle Sorbonne. Si les étudiants sont à l’honneur lors de cette manifestation, celle-ci reste noyée dans la couverture médiatique de l’exposition. Elle marque tout de même une étape très forte et établit un pont entre les fêtes universitaires qui l’ont précédée, Upsal, Bruxelles en 1884 et surtout Bologne en 1888, et celles qui l’ont suivie. Elle est la première fête universitaire française. Mais ce sont finalement les fêtes de l’Université de Montpellier en 1890 qui ont eu un impact digne de celui de Bologne. Là encore les étudiants européens sont à l’honneur et fraternisent à l’occasion de banquets, visites et cérémonies. Pour les accueillir, les étudiants montpelliérains regroupés en AGE décident d’adopter une coiffe originale. Ils refusent d’adopter le béret parisien et optent pour une coiffe qui ressemble à la « barrette », la toque de docteur du Moyen-Âge que l’on retrouve, entre autres, sur les représentations de l’illustre Rabelais. Cette toque est adoptée début février 1889. Elle est constituée de velours noir et de crevés de la même couleur que le galon. Cette couleur varie selon les études. Les couleurs choisies sont les mêmes qu’à Paris, basées sur les toges doctorales des professeurs d’université. Le samedi 16 février 1889, l’A d’Aix officialisait le béret pour ses étudiants au cours d’un banquet présidé par le recteur de l’Académie et le directeur de l’école de Médecine. À la même époque, à Toulouse, les étudiants portent aussi le béret. Le mois de février semble bien être le mois du béret. Et les rencontres lors des fêtes universitaires favorisent cette propagation.

Un supplément au numéro de juin – novembre 1890 du bulletin L’Université de Paris dresse le compte-rendu des fêtes de l’Université de Paris qui eurent lieu du 5 au 12 août 1889. Il relate chaque jour et fournit des descriptions très précises. Tout d’abord, on peut être surpris de l’ampleur des délégations étudiantes présentes, 478 étudiants des universités étrangères et 218 étudiants français venus de province. On en trouve une description lors de la soirée du mardi 6 à l’opéra de Paris. On notera que les étudiants de Bologne portent l’orsina et que les étudiants de Padoue ont déjà leur berretto goliardico, la future feluca qui est encore portée de nos jours. Le dernier jour, après un pique-nique sur la tour de Jean Eiffel, les convives se séparent et s’échangent leurs coiffes. Le compte rendu nous permet de découvrir que les étudiants de Lyon ont déjà adopté le béret en août 1889 et que celui-ci est orné d’un lion brodé en cannetilles. Nous pouvons en tirer deux idées majeures. Tout d’abord que si les étudiants français adoptent le béret comme coiffe, ils cherchent tout de même à le différencier de celui des autres universités et se démarquent de l’Université de Paris. Ensuite, les échanges de coiffes ne peuvent que favoriser l’adoption du béret. Les étudiants, coiffés, qui revenaient dans leur université après avoir passé plusieurs jours parmi des centaines d’étudiants en tenue, ne pouvaient qu’être convaincus de l’importance d’adopter le béret. C’est un phénomène que l’on observe à Nancy.

Des étudiants français sont invités aux fêtes universitaires de Gand les 15 et 16 mars 1891. On y retrouve une délégation de Nancy coiffée de bérets. Ce béret est sans aucun doute le même que celui des étudiants de Montpellier. En fait il est très certainement probable qu’à Montpellier les nancéiens ont reçu en cadeau la toque de Rabelais et ont continué de la porter l’année suivante. Des portraits photographiques sont réalisés pendant les fêtes. Si l’on en observe une attentivement, on reconnaît les étudiants de Nancy qui portent en sautoir le ruban de leur université et la toque de Rabelais. À y regarder de plus près, on remarque un signe accroché sur le galon d’un d’entre eux. Cet insigne est celui de l’académie de Nancy. On en retrouve un exemplaire sur un béret qui a appartenu à un étudiant de Nancy. Les deux types de coiffe sont donc contemporaines. Les étudiants de Nancy ont donc du décider peu de temps après les fêtes de Gand, d’adopter un béret bien à eux, de velours noir orné du blason de la ville de Nancy en cannetilles croisé d’une palme universitaire et distingué par un galon aux couleurs universitaires tenu par des passants comme à Paris. En 1892 à l’occasion des fêtes gymniques, l’A de Nancy accueillait les étudiants européens, coiffée de son nouveau béret.

 

Des amitiés naissent entre les universités européennes. À Paris, les représentants de l’AGE de Montpellier (l’AGEM) profitent de ce rassemblement pour inviter les étudiants français et étrangers aux fêtes universitaires de 1890. On se souvient du retour de Bologne de la délégation parisienne qui s’est faite par étapes, et bien les étudiants de Lausanne font de même. Sur le chemin de leur retour ils s’arrêtent, entre autre, à Marseille et Aix. Les liens qu’ils tissent à ce moment là se concrétisent lors des fêtes universitaires de Lausanne de 1891 où ils ne manquent pas d’inviter leurs camarades européens. Les étudiants de Marseille s’étaient faits remarquer à Montpellier avec un couvre-chef bien original, un chapeau.

Ce chapeau d’abord décrit comme un chapeau de mousquetaire est finalement appelé le chapeau des félibres dont les représentations les plus connues sont sur les portraits de Frédéric Mistral. Il s’en distingue un peu et peut être rapproché d’un chapeau étudiant qui existe en Autriche, la plume en moins. Il s’agit d’un feutre gris à large bords. Le chapeau a un galon aux couleurs de Marseille et la couleur universitaire. Je n’ai pas encore réussi à trouver de photo de la coiffure marseillaise. Pourtant on ne peut s’empêcher de penser à deux stéréotypes qui sont restés liés au rapin et plus généralement à l’artiste peintre. Ils sont représentés soit avec un béret, soit avec un chapeau à large bords. Il ne serait pas étonnant que ces stéréotypes proviennent du monde étudiant auquel appartiennent les rapins et auquel les artistes peintres restent attachés longtemps après leurs études. Les illustrations de rapins en chapeau doivent être assez proches de ce qu’était la coiffe marseillaise.

 

Mais revenons aux fêtes universitaires de Lausanne qui se sont déroulées du 17 au 20 mai 1891. Ces fêtes sont encore une fois l’occasion d’organiser des rencontres internationales entre les étudiants. Le Mémorial d’Aix publie l’invitation que les étudiants de Lausanne ont envoyée à leurs camarades. On remarquera l’importance donnée au costume étudiant. En 1891, on ne peut plus imaginer une rencontre estudiantine sans apparats spécifiques. L’évènement est photographié. L’étude de ces photos nous donne un bon aperçu de ce que pouvait être des fêtes universitaires à la fin du XIXème s. Elles déplacent en masse la population. Les étudiants y défilaient sous les acclamations.

Ces photos nous permettent aussi d’avoir un aperçu des différents bérets français alors présents.

On y retrouve des étudiants français qui défilent au milieu de toutes les délégations universitaires.

 

Un peu plus loin, on reconnaît les étudiants de Montpellier avec la toque de Rabelais avec ses crevés.

Et puis nous retrouvons les étudiants de Paris avec le béret qu’ils ont finalement adopté.

En France, la coiffe, quelque qu’elle soit, a donc tout de suite été agrémentée d’un ruban de couleur pour marquer la discipline étudiée et personnalisée selon la ville universitaire. Pourtant, dans les années 1920, tous les bérets présentent des insignes accrochés. Ces insignes marquent eux aussi la discipline. D’où provient cette symbolique ? Elle ne semble pas nécessaire dans les années 1890 puisque le ruban suffit à démarquer les études. Mais l’évolution des formations universitaires amène à distinguer certaines disciplines qui proposent des spécialisations comme les Sciences par exemple. Ce n’est pas le cas pour toutes les coiffes, notamment en Belgique. À Gand, une photo de quatre étudiants, datée de 1873, prouve que pour distinguer les casquettes, le choix a été fait d’utiliser des insignes symboliques qui sont brodés de fils dorés.

On retrouve la même chose sur la photo prise à Gand lors des fêtes universitaires de 1891. Il y a donc deux façons différentes de marquer les études, soit par la couleur, soit par un insigne. Ces insignes existent aussi dans les armées. Ce serait donc chez les étudiants belges que les insignes seraient apparus, d’abord brodés, puis en insignes estampés (l’armée a aussi finalement opté pour l’utilisation d’insignes estampés que l’on accroche sur le vêtement. C’était alors moins cher et surtout cela permettait de fabriquer les mêmes vêtements, casquettes ou calots et de ne les distinguer qu’après, selon leur utilisation). Les étudiants français n’avaient pas besoin de ces insignes puisqu’ils avaient tous opté pour une distinction par la couleur du ruban. Mais une tenue d’apparat ne se compose pas uniquement d’une coiffe. Les étudiants français ont d’abord utilisé un large ruban en sautoir. Celui-ci est brodé au nom de l’association comme nous avons pu le voir sur la photo de la délégation nancéienne à Gand en 1891. La délégation parisienne à Bologne en avait déjà. Et puis, il y a aussi l’utilisation d’insignes de revers. À Bologne les parisiens avaient une cocarde tricolore. Les étudiants de Toulouse ont voulu autre chose. Ils ont donc décidé d’adopter en sus une rosette. Cette rosette d’étudiant est à la couleur de la discipline. Mais il ne faut pas la confondre avec les rosettes des décorations officielles, c’est pourquoi ils décident d’y ajouter un insigne, insigne qui n’est pas sans rappeler celui qui est sur les casquettes belges. Le 3 octobre 1889, Le Mémorial d’Aix annonçait l’apparition de la rosette d’étudiant. Cette rosette a très vite été disponible chez tous les chapeliers. Il y a quelques années encore, on pouvait en trouver dans un magasin rue du Taur à Toulouse. Cette rosette a été utilisée sous sa forme originale mais elle a aussi été déclinée en broche émaillée. Il ne lui restait plus qu’à opérer une lente ascension du revers au béret. Un autre insigne se trouve généralisé sur les bérets d’étudiants dans les années 1920, il s’agit de l’étoile.

 

 

Encore une fois il nous faut retourner en Belgique pour la découvrir sur les casquettes. À Gand, elle est déjà utilisée en 1900 pour marquer les années d’études. Elle n’est pas sur toutes les casquettes. Au bon vouloir de l’étudiant, son utilisation devait surtout dépendre des moyens pécuniaires du propriétaire. Nous avons déjà eu l’occasion, dans d’autres travaux, de montrer comment le béret français avait connu un succès international, et comment de nombreux étudiants avaient, à leur tour, adopté le « béret de bohème ». C’est le cas au Canada, c’est aussi le cas en Belgique où certains étudiants l’ont porté. La coexistence du béret et des casquettes a fini par influencer les pratiques, et par osmose les bérets belges se sont ornés d’étoiles. Cette pratique est certainement apparue en France par retour de béret. Il ne faut perdre de vue les liens qui unissent les étudiants européens et particulièrement ceux, forcés par la proximité géographique, des étudiants de Lille avec leurs homologues belges.

Voilà donc les tribulations extraordinaires d’une coiffe qui est née sous de multiples influences, qui a connu de multiples formes avant de trouver un aspect homogénéisé de nombreuses années plus tard. Dans la dernière décennie du XIXème s., les étudiants français se distinguaient de leur homologues européens par un apparat spécifique à chaque ville universitaire. Ces apparats se sont fondus dans un seul et même béret petit à petit à partir des années 1920. Seule la toque de Rabelais gardait son aspect particulier, quelques villes ont conservé le blason en cannetilles pour seule différenciation comme à Toulouse où le blason existe encore après la Deuxième Guerre mondiale ou à Bordeaux qui avait opté pour les trois croissants de lune entrelacés.

 

Et la faluche dans tout ça ? Le mot faluche désigne dans le vieux parler du Nord, une sorte de petite galette. On trouve dans le tome VII des Mémoires de la Société d’émulation de Roubaix, paru en 1884, un article À propos du patois, où le mot faluche est traduit par galette. Le mot faluche est donc utilisé dans la région de Lille bien avant tout lien avec le béret étudiant. La galette est le surnom que l’on donne généralement dans toute la France au béret, quel qu’il soit. Galette, tarte, la métaphore est identique, c’est donc logiquement que les étudiants de Lille ont utilisé le mot faluche pour désigner leur béret. Le terme s’est imposé dans toute la France dans les années 1930 à l’occasion des congrès de l’Union des étudiants de France (l’UNEF). Le béret se voyait donner un nom unique et commun à tous. Il est logique dès lors que petit à petit sa forme se stabilise aussi. Finalement, ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale que l’on parle d’une manière générale de faluche, et ce n’est qu’à cette époque qu’elle est identique dans toutes les villes universitaires de France à l’exception de Montpellier qui a gardé les crevés et de Strasbourg qui a conservé les passants. Il n’est donc pas aisé de dater la naissance de la faluche. Le béret apparaît en décembre 1888 à Paris, mais il est difficile de parler de faluche avant la reprise de la vie universitaire aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale ou tout du moins des années 1930.

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